Pour sa belle...

Brox s'avança aux portes du territoire des siens. Passant entre les deux monolithes gravés de symboles sacrés, il savait qu'il était désormais observé par nombre de raiders cachés aux divers postes d'observation aménagés dans ces falaises. L'un d'eux ne tarda pas à sortir de sa cachette et à s'avancer vers Brox...
« Kestu ve?
-... Tu ne me reconnais pas?
-Jdevré?
-... Je suis Brox... Je viens voir Moadabor...
L'orc empoigna son épée et la pointa sur Brox.
-L'chèf Brox é mor! Di moa ki té ou jte bute!
Lentement, Brox sortit Mhor, la hache orc légendaire qui lui avait été cédée par son père à sa mort...
-Et elle? Tu la reconnais!?
Surpris, le raider recula et rengaina sa lame.
-Pardon chèf... Mé sa fé lontem... On croi vou mor...
-Ben la preuve que non... Mènes moi à Moadabor.
-Oui chèf!

Le raider guida Brox à travers de multiples petits chemins tracés dans les falaises... Leur cheminement revenait peu à peu en mémoire à Brox. Nombre de lunes étaient passées depuis sa dernière visite en ces terres... En ses terres.

Ils arrivèrent à l'entrée de la cité troglodytes aménagée par les orcs noirs, elle grouillait comme une immense ruche. Le raider et Brox s'engagèrent sur un escalier aux larges marches. Au bout de plusieurs minutes d'ascension, ils entrèrent dans une grande pièce dont la fraîcheur tranchait étrangement avec la chaleur extérieure. Au fond de la salle, Brox vit Moadabor, vautré sur un trône de pierre, une peau de bison sur les épaules et la tête de l'animal vissée sur le crâne, comme le veut la tradition shamane. Moadabor releva lentement la tête et, apercevant Brox, il se leva d'un trait et s'écria:
-Tiens donc! Le retour du fils prodige!
Brox fut surpris par l'élocution parfaite du shaman, les orcs n'avaient pas pour habitude de parler la langue humaine avec tant de facilitée... Du moins chez les orcs noirs.
-Salut à toi Moadabor! Je vois que tu te portes pour le mieux... J'en suis heureux! Mais comment se fait-il que tu maîtrise si bien la langue humaine désormais?
-Tu sais petit... Depuis ton départ, les choses ont énormément changées pour notre peuple... On a beau ne pas aimer les humains, on a de plus en plus besoin d'eux... Et vu qu'ils ne comprennent que ce qui leur ressemble, on doit bien s'adapter. Et comme je guide le peuple en ton absence, ben c'est moi qui m'y colle... Mais j'avoue y prendre un certain plaisir, la langue humaine est pleine de subtilités, c'est comme un jeu de la parler couramment! Mais dis moi plutôt ce qui t'amène ici! Tu viens reprendre le pouvoir que tu m'avais confié?
-Désolé Moadabor, mais ce n'est pas ce qui m'amène... Je suis en fait venu te demander un service... Et cela deviendrait un ordre si tu venais à refuser... Il n'y a rien de plus important à mes yeux...
-Que pourrais-je refuser à mon chef? Explique-moi tout et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir!
-Voilà... Il y a quelques lunes, Maowen, celle que j'aime à été tuée...
-Qui a fait ça? Pourquoi?
-Une pauvre fille rendue folle par sa condition de vampire qu'elle n'accepte pas... Elle a fait ça pour se venger de moi car je m'étais permis de lui dire le fond de ma pensée, elle n'a pas supporté et a cherché à me faire souffrir... Et elle a réussi...
-Tu l'as tuée pour cela!?
-J'aurais voulut... Mais elle se bat bien la bougresse... Et puis je n'y mets pas vraiment le coeur...
-Pourquoi?
-Disons que la haine que j'éprouvais est devenue pitié... Elle se donne des grands airs mais, au fond, elle est pathétique...
-Et tu voudrais que je la tue pour toi? C'est ça?
-Nullement... Je ne souhaite plus sa mort... Cela ne ramènerait pas Maowen... Ce que je voudrais, c'est que toi, tu la ramènes à la vie!
Moadabor s'effondra sur le trône et plongea son regard dans celui de Brox:
-C'est bien la requête que je craignais...
-Tu es un shaman puissant! Tu dois bien en être capable!
-Justement! Je suis un shaman! Pas un mage! La résurrection et autres actes contre-nature... Ce n'est pas de mon ressort!
-Mais... Il doit bien y avoir un moyen!
-Oui... Il y en a un! Mais pour cela, il faudrait que j'offre mon âme en pâture aux démons de l'enfer... Et ça, tu ne peux me le demander! Ni même me l'ordonner!
-C'est un fait... Mais moi... Je veux bien payer de mon âme pour lui redonner la vie!
-Si c'est toi qui fais l'incantation, le démon demandera à coup sur l'âme de Maowen en plus de la tienne... Et je ne pense pas que tu voudrais la damner elle aussi...
-C'est hors de question... Mais... Pourquoi ne demanderait-il qu'une âme si c'est toi qui l'incante, et deux si c'est moi?
-A cause de mes pouvoirs de shaman... Les démons raffolent des âmes des shamans et autres mages... Pour eux c'est un met très rare... Et donc très recherché!
-A quoi ça engage d'offrir son âme à un démon?
-A subir une éternité de tortures et de souffrances dans les flammes de l'enfer une fois ta mort venue... Et le démon avec lequel tu auras conclu le pacte se délectera de tes peines et de tes cris...
-Fais de moi un shaman... Une éternité de souffrance vaut bien quelques lunes de plus en compagnie Maowen...
-Ne dis pas de sottises! Ca ne se fait pas comme ça! Ce n'est pas si simple!
-Tu m'as toujours dit "on né pa shaman, on le devien!" quand j'étais petit... Je dois en devenir un pour retrouver Maowen! Je suis prêt à tout! Et tu me connais...
-Oui, je peux faire de toi un shaman! Mais cela risque de prendre de nombreuses lunes!
-Peu importe!
-Ne fais pas ça sur un coup de tête! Tu ne sais pas ce à quoi la condition de shaman t’engage...
-Etre shaman, ce n’est pas être magicien ! Il ne te suffira pas de citer la bonne formule pour voir ton sort prendre effet… Le shaman est le moyen qu’utilise la Nature pour s’exprimer… Tes pouvoirs dépendront de la confiance qu’elle te porte, c’est à force de travail que mes prédécesseurs ont réussi à prendre un peu d’indépendance, mais si elle renie un shaman, celui-ci peu dire adieu à ses pouvoirs ! Ainsi, en tant que shaman, tu ne peux pas aller à l’encontre du cycle naturel… De la même manière, tes pouvoirs doivent servir la cause des tiens, pas tes intérêts. La condition de shaman amène plus de contraintes que de libertés, mais si tu sais être respectueux de celle qui t’offre ces pouvoirs, c’est un monde nouveau qui s’offrira à toi, un monde que les autres mortels n’imaginent même pas… Mais tout cela, il faut savoir le mériter, au prix d’un long apprentissage et d’une vie de servitude aux mains de la Nature. Mais… Tel que je te connais, j’imagine que malgré ce que je viens de te dire, tu veux encore devenir shaman pour faire revivre ta belle en offrant ton âme à un démon…
-… Bon ! On commence au lieu de causer !? »

Ainsi débuta l’apprentissage, il dura de nombreuses lunes sans que Brox ne connaisse autre chose que l’ingestion de drogues pour ouvrir son esprit aux voix de la Nature, les veillées en plein désert, le regard perdu dans les étoiles à écouter le vent et à tenter de le comprendre, des nuits entières passées à apprendre les symboles sacrés du shamanisme orc , des journées entières de rites secrets et des heures de scarifications, sans oublier les prières, les offrandes, les danses…
A plusieurs reprises il risqua de perdre la raison, retenu à la réalité par la simple voie de Moadabor et le souvenir de sa belle. Il songea meme à abandonner lors des quelques pauses que lui accordaient le shaman, mais l’impression de toucher au but le poussait à s’acharner et à travailler encore davantage.

Un matin, enfin, l’apprentissage prit fin. Moadabor considéra Brox :
« Bon… Voilà, c’est bientôt terminé… Ne crois pas être déjà shaman, c’était un apprentissage express que tu viens de subir … Reste à voir ce que tu vaux… Suis-moi ! »
Le shaman entraîna Brox dans les falaises, jusqu’à un énorme rocher bariolé d’inscriptions shamaniques.
« C’est Askarilf…
-Le rocher des esprits… Alors c’est lui… Il est immense…
-N’est-ce pas… Les orcs racontent pas mal de choses à son sujet… On dit même qu’il est maudit !
-Sérieux ?
-Ouais… Mais en fait… C’est juste un gros caillou sur lequel les shamans de toutes générations se sont entraînés pour leurs sorts !
-… Tu sais que tu viens de casser un mythe là ?
-Pas grave ! Y’a que toi et moi au courant ! Bon, passons aux choses sérieuses… Balances-y un des sorts que je t’ai appris !
-Quoi ? Comme ça ? A froid ?
-Tu veux la revoir ou non ?!
-Bon, ok, ok…
Sur ces mots, Brox ferma les yeux, tendit les mains vers le rocher, les doigts crispés, et commença à psalmodier une prière. Moadabor l’observait :
-Tu n’y crois pas assez ! Concentre-toi et ne penses à rien d’autre !
Les bras pris de convulsions, Brox rouvrit les yeux et vit le mana incolore affluer le long de ses doigts, un mince sourire se dessina sur sa gueule et il poussa en direction du rocher un hurlement dont les falaises environnantes firent l’écho. Un énorme éclair déchira alors le ciel, frappant le sommet de la roche durant plusieurs secondes. A sa disparition, le silence et la chaleur reprirent leurs places. Brox s’affaissa devant Moadabor :
-La vache ! Ca casse vachement de lancer un sort… Comment t’as fait pour vivre aussi vieux ?
-Tu t’y feras avec le temps… Va te reposer pour le moment, tu en as bien besoin !
-Me reposer ? Réveille moi dans trois lunes plutôt !
Brox s’éloigna lentement en direction de la cité orc, alors que Moadabor s’approchait du rocher dont le sommet était noirci. Il posa doucement la main sur la roche et la retira aussitôt… Puis, parlant pour lui-même :
-C’est bouillant… mon petit Brox, je crois que tu nous réserve de belles surprises… C’est ton père qui aurait été fier !

De retour dans la salle du trône, Moadabor constata que Brox s’y était affalé et entamait une cure de sommeil. Il ne le réveilla pas et posa à ses cotés la peau d’ours qui lui servirait désormais d’habit cérémoniel. Il savait qu’à son réveil son chef partirait en silence accomplir l’invocation et offrir son âme au démon… Il savait aussi qu’il lui était impossible de l’en empêcher. Il sortit en silence afin de regagner sa demeure.